Depuis les premières heures de l’année 2025, les tempêtes n’ont cessé de battre les côtes portugaises avec une intensité inédite. En l’espace de quelques mois, 10 dépressions majeures ont balayé le pays, dérobant à la terre ferme plusieurs mètres de sable, effritant les falaises et engloutissant des pans entiers du littoral. Du nord au sud, de Costa Nova à Quarteira, le Portugal assiste impuissant à un phénomène aussi silencieux qu’irréversible : l’érosion côtière.
Plus qu’un simple mouvement de la mer, il s’agit d’une transformation géographique et sociétale. Car derrière les chiffres – 13,3 km² perdus depuis 1958, soit l’équivalent d’un tiers de la ville de Porto – se cache une réalité tangible : maisons relocalisées, plages impraticables, falaises effondrées, et un patrimoine naturel et touristique en péril. Pourtant, alors que l’Atlantique avance, des projets immobiliers surgissent encore sur les dunes, révélant une tension explosive entre développement et préservation.
Une côte rongée par les vagues : les régions les plus touchées

Ovar et Ílhavo : des terres grignotées à vue d’œil
Dans la région Centre, le bilan est alarmant. À Costa Nova et Ílhavo, la mer a avancé de 25 mètres en trois mois seulement. Le vent, la houle, la pluie – tout s’est conjugué pour faire reculer la ligne de côte. À Ovar, on enregistre jusqu’à 4,8 mètres d’érosion par an. Le maire Salvador Malheiro ne cache plus son désarroi : “Nous avons perdu une partie de notre territoire dans cette bataille contre l’océan.”
Le front de mer de Furadouro illustre cette fragilité. En décembre 2024, des vagues de plus de 11 mètres ont brisé les murs de soutènement, provoquant des dégâts spectaculaires. Une trentaine de familles ont déjà été relogées, mais l’élu avertit : reloger les 5000 résidents permanents exposés serait tout simplement impossible.
L’Algarve et la Ria Formosa : des joyaux touristiques fragilisés
Plus au sud, l’Algarve n’est pas épargnée. À Quarteira, le trait de côte a reculé de 10 mètres, entraînant l’effondrement d’une falaise. Les plages de Fuseta-Mar, de l’île d’Armona, et de Forte Novo ont été parmi les plus ravagées par les tempêtes de l’hiver. Même les paysages protégés de la Ria Formosa montrent des signes de fatigue face à la pression combinée du climat et de l’urbanisation côtière.
Caparica, Troia, Esposende : entre béton et dunes sacrifiées
La fragilité du littoral ne semble pas freiner les ambitions touristiques. À Caparica, comme sur la péninsule de Troia, les dunes, qui constituent pourtant une défense naturelle contre l’avancée de la mer, sont menacées par des projets d’envergure. À Troia, un complexe touristique de 200 millions d’euros porté par un consortium dirigé par l’héritière de Zara, Sandra Ortega Mera, soulève une vive polémique. Sur 100 hectares de sable, hôtels et villas de luxe prennent forme, dans une zone jugée critique par les experts environnementaux.
Des interventions d’urgence, mais une réponse encore inégale
Des millions engloutis, peu de plages réellement protégées
Entre 2014 et 2023, l’État portugais a investi près de 52 millions d’euros dans des projets de réhabilitation côtière. Pour la période 2024-2030, 22 nouveaux projets ont été validés dans le cadre du Programme opérationnel durable, avec une enveloppe de 77 millions d’euros. Pourtant, seuls quatre sites bénéficieront de travaux immédiats en 2025 : Moledo, Ílhavo, Fuseta et Vau. Le reste du littoral, soit 80 % de la côte en danger, attend encore des solutions concrètes.
Depuis 1950, ce sont plus de 43 millions de mètres cubes de sable qui ont été réinjectés artificiellement sur les plages pour contrer l’érosion. Une méthode efficace à court terme, mais coûteuse, et qui ne s’attaque pas aux causes profondes du phénomène.
Les barrages, ennemis invisibles des plages
Au-delà des tempêtes et de la montée des eaux, un autre facteur aggrave l’érosion : la rétention des sédiments par les barrages. Les fleuves, entravés, n’acheminent plus le sable vers les côtes, privant les plages de leur matériau naturel de renouvellement. Sans ce “recyclage fluvial”, les dunes s’amenuisent, les plages s’amincissent, les défenses naturelles s’effondrent. Aussi avec le plan gouvernemental pour l’eau : « Água que Une« , ce sont encore de nouveaux barrages qui sont prévus, ce qui ne fera qu’amplifier le problème.
Quelle stratégie pour sauver le littoral portugais ?
Face à l’urgence, les voix se multiplient pour réclamer une vision de long terme, fondée sur des données scientifiques et sur la résilience des écosystèmes. Cela signifie parfois renoncer à construire, voire reculer. Cela implique aussi de restaurer les fonctions naturelles des dunes, de revoir la gestion des barrages, et de renforcer les normes d’urbanisation dans les zones vulnérables.
Mais l’équation reste complexe. Entre protection de l’environnement, impératifs économiques et pression immobilière, le Portugal se trouve à la croisée des chemins. La mer, elle, ne négocie pas. Elle avance.
L’érosion côtière n’est plus un risque futur : c’est une réalité actuelle, qui transforme peu à peu la géographie du Portugal. Les tempêtes, la montée du niveau des océans et les erreurs d’aménagement ont précipité l’urgence. Aujourd’hui, préserver les plages, les dunes et les habitats ne relève plus du confort, mais de la survie d’un littoral vivant, fragile et essentiel à l’identité du pays.