Chaque printemps, les rues du Portugal s’animent d’un souffle particulier : celui de la mémoire, de la fierté et de la liberté. Le 25 avril, connu sous le nom de Dia da Liberdade (jour de la liberté), est bien plus qu’un jour férié national. C’est une date profondément ancrée dans l’histoire collective, célébrant la fin de près de quatre décennies de dictature. En ce 25 avril 2025, le pays fête les 51 ans de cette révolution unique au monde, surnommée Révolution des Œillets, pour sa dimension pacifique et symbolique. Cette journée évoque autant la douleur d’un passé répressif que l’espoir d’un avenir fondé sur les valeurs démocratiques. Son importance demeure vive dans toutes les générations, qu’elles aient connu l’oppression ou soient nées dans l’après-liberté.
Contexte historique : l’avant 25 avril
Pour comprendre la portée de cette révolution, il faut d’abord revenir sur le régime qui l’a précédée. Depuis 1933, le Portugal vivait sous un régime autoritaire appelé Estado Novo, dirigé par António de Oliveira Salazar. Inspiré des régimes fascistes européens de l’époque, il reposait sur la censure, la propagande et la répression policière, notamment via la redoutée PIDE. Les libertés fondamentales étaient supprimées et la vie politique figée.

L’économie stagnait, et l’obsession du maintien de l’empire colonial en Afrique plongeait le pays dans une guerre prolongée. Le refus d’accorder l’indépendance aux colonies entraîna de longs conflits coûteux en vies humaines et en ressources. Des milliers de jeunes Portugais furent envoyés de force sur ces fronts lointains, accentuant le mécontentement national.
La mort de Salazar en 1970 n’a pas mis fin à cette dérive autoritaire. Son successeur, Marcelo Caetano, conserva les fondements du régime sans apporter de véritable changement. Les tensions s’accentuèrent, tant au sein de la population civile que dans les rangs de l’armée. L’heure du changement approchait.
Les prémices de la révolution

Face à cette impasse, un groupe de jeunes officiers, las de voir leurs camarades mourir inutilement en Afrique, fondèrent le Mouvement des Forces Armées (MFA). Leur but : renverser pacifiquement le pouvoir en place. Ces militaires furent rejoints par des étudiants et intellectuels qui, dans la clandestinité, faisaient circuler des idées socialistes et communistes.
Le mécontentement s’enracinait profondément dans toutes les couches de la société. Les travailleurs, les enseignants, les paysans… tous aspiraient à plus de justice sociale et à un État plus équitable. Dans ce contexte de répression latente, la moindre étincelle pouvait mettre le feu aux poudres. Elle allait venir sous la forme d’une chanson.
25 avril 1974 : la révolution des œillets
Tout bascule dans la nuit du 24 au 25 avril 1974. À 22h55, la radio diffuse E Depois do Adeus, chanson anodine en apparence. Elle sert de premier signal aux troupes. Puis à 00h20, c’est Grândola, Vila Morena, hymne de la liberté interdite par la censure, qui annonce l’entrée en action du MFA.
Rapidement, les casernes se mobilisent, les troupes défilent dans Lisbonne. Mais au lieu de la violence attendue, c’est une révolution pacifique qui se joue. La population soutient massivement les militaires. Une fleuriste, Celeste Caeiro, tend des œillets aux soldats. Ceux-ci les glissent dans le canon de leurs fusils. Le symbole est né.
Le Premier ministre Caetano est encerclé, contraint de démissionner, c’est la Révolution des œillets ! Il cède le pouvoir à António de Spínola. Le régime s’effondre en quelques heures, sans affrontement armé majeur. Une page d’histoire se tourne sous les applaudissements du peuple.
L’après-révolution et la démocratie naissante
Après la chute de la dictature, le Portugal entre dans une phase de transition démocratique. Les anciens territoires africains obtiennent leur indépendance. Une nouvelle Constitution, adoptée en 1976, établit une république parlementaire. Les libertés de la presse, de réunion et d’expression sont restaurées.
Les années qui suivent sont marquées par l’instabilité politique, mais aussi par des progrès sociaux rapides : scolarisation, sécurité sociale, droits syndicaux. En 1986, le pays rejoint la Communauté économique européenne (future Union européenne), accélérant son développement et son ouverture au monde.
Le 25 avril aujourd’hui : un héritage vivant
Chaque année, le 25 avril est célébré partout dans le pays. À Lisbonne, des rassemblements ont lieu sur l’Avenida da Liberdade, avec discours, concerts, lectures publiques. Les enfants apprennent à l’école les valeurs de la révolution. Les anciens témoignent de la peur et de l’espoir, transmettant à la nouvelle génération le goût de la liberté.
En 2025, le Portugal célèbre les 51 ans de cette révolution sans sang, devenue modèle de transition démocratique. Dans un monde souvent divisé, le souvenir de cette journée rappelle qu’un changement profond peut s’opérer dans la paix, grâce à la mobilisation collective et au courage de quelques-uns.