À la lisière de la côte orientale de l’Algarve, là où les pinèdes rencontrent les dunes de sable, un ancien lieu de rires et d’éclaboussures est resté figé dans le silence depuis plus de trois décennies. L’Aqualine, parc aquatique d’Altura ouvert en 1988 et abandonné depuis 1993, va bientôt connaître une transformation inédite. Ce n’est pas un nouveau parc d’attractions qui s’y installera, mais trois unités de tourisme rural, conçues dans le respect du territoire, de son histoire et de son écosystème.
Un site oublié, une mémoire en suspens
Pour les habitants de Castro Marim, Aqualine appartient à un passé presque effacé. Niché sur 18 hectares, entre collines basses et végétation endémique, ce parc aquatique avait été une attraction régionale majeure dans les années 1990. Son histoire s’est brutalement interrompue après une série d’accidents survenus ailleurs au Portugal, notamment à Lisbonne, qui ont conduit à un durcissement de la législation encadrant les parcs aquatiques. Incapable de s’adapter aux nouvelles normes, Aqualine ferma définitivement ses portes.
Depuis, la nature avait repris ses droits. Les bassins vides étaient devenus des refuges pour les lézards et les ronces, les toboggans couverts de poussière s’effaçaient lentement, et le silence remplaçait les cris d’enfants. Mais cette lente décrépitude n’était pas sans potentiel : le terrain portait encore les traces de l’aménagement humain, sans avoir perdu son ancrage naturel.
C’est cette complexité — entre ruine, mémoire et paysage — que les nouveaux porteurs de projet ont voulu préserver. Le pari : réinventer sans effacer.
Une approche douce et durable du territoire

La transformation du site a d’abord été pensée à travers un plan détaillé, le Plano de Pormenor do Alto da Cruz, visant à reconvertir la zone en espace touristique. Mais la mairie de Castro Marim, soucieuse de ne pas densifier davantage la côte, a préféré une approche plus respectueuse et moins invasive.
Après plusieurs réunions avec le promoteur, une solution alternative a été adoptée : trois petites unités de tourisme rural, dispersées et intégrées aux infrastructures existantes. Aucun abattage d’arbre. Aucune extension urbaine. Juste une réhabilitation pensée pour dialoguer avec le lieu, et non pour le dominer.
Ce choix architectural incarne une stratégie territoriale à faible densité, privilégiant la qualité paysagère à la quantité de lits touristiques. Il s’inscrit dans une volonté de diversification de l’offre touristique algarvienne, loin des grands complexes côtiers surpeuplés.
Redonner vie sans imposer
Les futurs hébergements occuperont les structures restantes du parc, réaménagées en respectant leur morphologie. Certains anciens bâtiments techniques deviendront des salons ou des cuisines collectives. Les anciennes zones de circulation pourraient être transformées en sentiers ou en potagers biologiques. Chaque unité sera autonome, mais reliée aux autres par une logique de parcours doux et de vie partagée.
Plus qu’un projet touristique, cette reconversion raconte une manière d’habiter la mémoire. Le parc aquatique n’est pas rasé, il est recyclé. Son souvenir ne s’efface pas, il se transforme en ressource. C’est une forme de palimpseste territorial, où le passé visible dialogue avec un futur sobre, adapté et humain.
Un tourisme rural en accord avec son temps
Alors que l’Algarve cherche de nouvelles voies pour sortir de la monoculture balnéaire, les projets comme celui d’Altura tracent une autre trajectoire. Ils valorisent l’intérieur des terres, la faible densité, l’expérience intime. Le visiteur ne vient plus pour consommer un espace, mais pour en faire l’expérience lente, pour en comprendre les rythmes, les matériaux, les histoires.
Le silence retrouvé du site, jadis bruité par les jets d’eau et les cris, devient une valeur touristique. Le chant des cigales, la lumière dorée sur les collines de Castro Marim, l’odeur de la terre chauffée au soleil composent un paysage sensible qui ne demande qu’à être vécu autrement.
Une régénération discrète mais exemplaire
Ce projet, par son échelle modeste et sa philosophie intégrée, pourrait bien devenir un modèle. Il montre qu’il est possible de transformer des friches sans artificialiser davantage, de redonner sens et usage à des lieux abandonnés, de faire du tourisme sans effacer l’existant. C’est une leçon d’urbanisme patient, de patrimoine discret et de durabilité appliquée.
À Altura, l’eau ne jaillit plus des toboggans. Mais une autre forme de flux s’installe : celui d’un tourisme apaisé, attentif, enraciné dans les mémoires et les paysages. Un projet à suivre, et peut-être à reproduire ailleurs.