Mégalithisme au Portugal : dolmens, menhirs et cromlechs

Mégalithisme au Portugal : dolmens, menhirs et cromlechs, un patrimoine préhistorique unique en Europe

Bien avant l’arrivée des Celtes ou des Romains, bien avant même l’apparition de l’écriture, le Portugal était déjà une terre façonnée par des sociétés humaines audacieuses. Sur ses plateaux, dans ses vallées et le long de ses rivières, des communautés néolithiques ont érigé d’impressionnantes structures de pierre : menhirs solitaires, dolmens funéraires et cromlechs cérémoniels. Ces monuments mégalithiques, parfois âgés de plus de 7000 ans, témoignent d’une organisation sociale sophistiquée, d’une connaissance avancée des cycles astronomiques, et d’un lien intime entre les hommes, le paysage et le cosmos.

Le mégalithisme au Portugal remonte au 6e millénaire avant notre ère. À cette époque, de petites communautés de chasseurs-pasteurs, sédentarisées dans des vallées fertiles comme celle du Mondego ou sur les hauteurs de l’Alentejo, ont commencé à ériger ces pierres dressées. D’abord lieux de sépulture, ces sites sont rapidement devenus des espaces rituels, des observatoires astronomiques et des marqueurs symboliques des territoires. Du nord au sud du Portugal, cette tradition s’est prolongée jusqu’au Chalcolithique (vers 3000–2000 av. J.-C.), tissant un patrimoine unique en Europe, à la fois vaste et varié.

Un patrimoine mégalithique dense et structuré

Le Portugal compte plus de 800 dolmens, plus de 100 menhirs isolés, près de 450 établissements mégalithiques, et des ensembles spectaculaires comme le Cromlech des Almendres ou le Grand Dolmen de Zambujeiro. Ces sites sont particulièrement concentrés autour d’Évora, dans l’Alentejo, à l’intersection des bassins hydrographiques du Tage, du Sado et du Guadiana, mais on en trouve aussi dans le nord du Portugal, notamment dans les vallées du Vouga, du Paiva ou du Coa, illustrant une diversité architecturale et culturelle qui reflète la complexité des sociétés néolithiques portugaises.

Le Cromlech des Almendres : un observatoire de pierre millénaire

Cromlech des Almendres

Situé près d’Évora, dans l’Alentejo, le Cromlech des Almendres est l’un des sites mégalithiques les plus emblématiques d’Europe. Redécouvert en 1966, ce monument impressionne par son ampleur et son ancienneté : il est composé de 95 menhirs disposés en cercles et en ellipses, formant un ensemble monumental qui témoigne d’une occupation continue sur plusieurs millénaires, entre le 6000 et le 4000 av. J.-C..

Les alignements de pierres sont orientés selon des axes précis, en lien avec les cycles solaires et lunaires, ce qui laisse penser que le site servait d’observatoire astronomique primitif. Mais Almendres n’était pas seulement un lieu d’observation : c’était aussi un espace de rassemblement, de célébration et de rituels communautaires, un point de convergence entre la terre et le ciel, entre les vivants et leurs ancêtres. Aujourd’hui, ce site fascinant attire chercheurs, curieux et amateurs d’histoire, captivés par le mystère des pierres dressées et leur lien avec les premières sociétés agricoles du Portugal.

Les dolmens du district de Viseu

Cunha Baixa

Le centre du Portugal, notamment dans le district de Viseu, abrite des dizaines de dolmens remarquables, comme ceux de Carapito ou de Cunha Baixa. Ces monuments funéraires, souvent bien conservés, témoignent d’un soin particulier accordé aux rituels d’inhumation. À Carapito, par exemple, les dalles massives forment une chambre funéraire impressionnante, tandis qu’à Cunha Baixa, les archéologues ont retrouvé des fragments de poteries, des pointes de flèches et des restes osseux, attestant des pratiques funéraires complexes. Ces sites sont aujourd’hui protégés et intégrés dans des circuits de découverte du patrimoine régional.

Le site de Chã de Parada, Trás-os-Montes

Chã de Parada

Dans le nord-est du Portugal, le site de Chã de Parada, situé dans la région de Trás-os-Montes, témoigne d’une présence mégalithique plus discrète mais non moins fascinante. Entouré de paysages montagneux, ce site abrite plusieurs dolmens et menhirs, certains encore en place, d’autres déplacés au fil du temps. Ici, la pierre se fond dans la bruyère et les pâturages, et les légendes locales racontent que ces pierres marqueraient d’anciens lieux de rassemblement de tribus préhistoriques. Les gravures, bien que peu nombreuses, laissent entrevoir une symbolique mystérieuse, encore à déchiffrer.

Le plateau granitique du Coa et ses alignements oubliés

Menhir de Penedo Gordo

Dans la vallée du Coa, mondialement connue pour ses gravures rupestres paléolithiques, des découvertes récentes ont mis en lumière la présence de menhirs et de structures mégalithiques. Ces pierres dressées, souvent ignorées au profit des fameuses gravures, rappellent que la vallée était un carrefour de cultures bien avant l’apparition de l’art pariétal. Certains menhirs, comme le fameux Anta do Penedo Gordo portent des traces d’érosion qui laissent supposer une implantation très ancienne, probablement contemporaine des premières phases du Néolithique dans la région. Ces vestiges soulignent la richesse méconnue du paysage mégalithique du nord du Portugal.

Dans le paysage mégalithique portugais, trois types de monuments se distinguent, chacun avec sa fonction et son mystère. Le menhir est la forme la plus simple : une pierre dressée, souvent isolée, parfois gravée ou sculptée, érigée pour marquer un lieu, un événement ou pour des rites liés à la fertilité. Ces sentinelles solitaires ponctuent les campagnes et fascinent par leur verticalité.

Le dolmen est un monument funéraire, composé de grandes dalles dressées (orthostates) surmontées d’une pierre horizontale (table). Il forme une chambre sépulcrale qui accueillait des dépôts funéraires, souvent collectifs, et témoigne des croyances liées à l’au-delà et au culte des ancêtres. Le Portugal compte plus de 800 dolmens, du modeste abri au majestueux Anta Grande do Zambujeiro.

Le cromlech, plus complexe, rassemble plusieurs menhirs disposés en cercle ou en ellipse. Ces alignements, comme celui des Almendres, servaient probablement de lieux rituels et d’observatoires astronomiques, marquant les cycles du soleil et de la lune. Ces structures illustrent la dimension collective et cosmique du mégalithisme, où l’architecture de pierre reliait la communauté aux astres et aux forces invisibles du monde naturel.

Les alignements du district de Porto : un patrimoine à redécouvrir

anta santa marta

Moins connus que ceux du sud, plusieurs alignements mégalithiques ont été identifiés dans le district de Porto et ses environs. Ces pierres dressées, parfois isolées, parfois groupées, sont souvent intégrées dans des paysages agricoles ou forestiers, ce qui les rend difficiles d’accès. Des études récentes suggèrent que ces alignements pourraient marquer d’anciens itinéraires de transhumance ou des limites tribales. La redécouverte et la valorisation de ces monuments comme le dolmen da Portela, le menhir de Luzim, l’Anta d’Aboboreira 1 ou encorele site mégalithique de Meninas do Crasto, font partie des nouveaux défis de l’archéologie au Portugal.

Le Cromlech de Vale Maria do Meio

Cromlech de Vale Maria do Meio

Proche du célèbre site d’Almendres, le Cromlech de Vale Maria do Meio est un site plus modeste mais d’un grand intérêt. Moins spectaculaire en taille, il présente néanmoins une organisation complexe de pierres disposées en cercle, probablement en lien avec des rituels liés aux cycles solaires. Les fouilles ont révélé des fragments de céramique et des outils en pierre, renforçant l’hypothèse d’un usage cérémoniel. Ce site illustre la densité et la diversité des espaces mégalithiques dans la région d’Évora.

Le Menhir de Meada : le géant d’Ibérie

Menhir de Meada

Près de Castelo de Vide, le Menhir de Meada s’élève à plus de 7 mètres de hauteur, faisant de lui le plus grand menhir dressé de la péninsule Ibérique. Découvert en 1965, puis restauré et redressé en 1993, il impressionne par ses proportions et sa simplicité. La pierre, légèrement effilée vers le sommet, semble avoir été choisie pour sa forme évocatrice, et des marques d’outils visibles à sa surface témoignent de l’habileté des tailleurs de pierre du Néolithique. Son isolement dans un paysage de chênes-lièges et d’herbes dorées accentue son mystère et sa puissance symbolique.

L’Anta Grande do Zambujeiro : la cathédrale des dolmens

Anta Grande do Zambujeiro

À quelques kilomètres d’Évora, l’Anta Grande do Zambujeiro est un monument impressionnant : avec sa chambre de plus de 6 mètres de long et ses orthostates 2 atteignant près de 7 mètres de hauteur, elle est considérée comme la plus grande structure funéraire préhistorique d’Ibérie. Découverte en 1965, ce dolmen aurait abrité plusieurs sépultures et des offrandes précieuses. Aujourd’hui, son accès est limité pour des raisons de conservation, mais sa silhouette massive continue de fasciner les visiteurs et les chercheurs.

Les cromlechs et menhirs de Reguengos de Monsaraz

Reguengos de Monsaraz

La région de Reguengos de Monsaraz, au sud-est d’Évora, est un véritable musée à ciel ouvert du mégalithisme portugais. On y trouve le Menhir de Outeiro, aux formes anthropomorphes gravées, le Menhir de Belhoa, ou encore le Cromlech de Xerez, déplacé lors de la construction du barrage d’Alqueva et reconstitué à proximité. Ces sites illustrent l’interaction entre patrimoine ancien et aménagements modernes, et posent la question de la sauvegarde et de la transmission des savoirs liés à ces monuments millénaires.

Les vestiges du sud : Algarve et au-delà

Le mégalithisme est moins dense en Algarve, mais quelques sites notables subsistent, comme le Menhir de Lavajo, dans la région d’Alcoutim, ou les petits dolmens isolés des contreforts de Monchique. Ces vestiges témoignent de la diffusion des pratiques mégalithiques jusqu’aux confins du sud du Portugal, confirmant l’importance du mégalithisme dans la construction du paysage culturel de l’ensemble de la péninsule Ibérique.

3Cet aperçu des principaux sites mégalithiques du Portugal montre la richesse et la diversité de ce patrimoine, mais il ne saurait être exhaustif. De nombreux autres sites, plus discrets ou moins connus, parsèment le territoire portugais, chacun porteur d’une histoire unique et d’un mystère à découvrir. Pour les passionnés, il est possible d’approfondir ces connaissances en explorant des ressources spécialisées 4, des musées régionaux , des publications archéologiques 5 et des visites guidées sur le terrain, qui permettent d’appréhender toute la complexité et la beauté du mégalithisme portugais.

Symbolisme et fonctions des menhirs

Les menhirs, souvent dressés de manière isolée ou en alignements, sont des pierres verticales dont la fonction exacte reste partiellement énigmatique. Ils pourraient marquer des limites territoriales, servir de points de repère, ou être des symboles rituels liés à la fertilité et à la vie. Certains, comme le Menhir de Meada (7,15 mètres de haut, 15 tonnes), portent des gravures et des formes anthropomorphes, renforçant leur caractère sacré. D’autres, comme le Menhir de Outeiro, semblent évoquer des figures humaines ou divines, avec des détails sculptés intrigants.

Le mégalithisme portugais révèle ainsi un savoir-faire technique impressionnant : extraction, transport, érection, orientation – des tâches nécessitant une organisation sociale avancée et une connaissance fine du paysage et des matériaux. Les sites étaient souvent choisis en fonction de leur position stratégique (hauteurs, intersections de rivières) et leur construction était probablement associée à des pratiques rituelles et à des croyances astronomiques.

Des observatoires tournés vers le ciel

Des recherches archéologiques confirment que certains mégalithes portugais, comme ceux d’Almendres, sont alignés avec des événements astronomiques : solstices, équinoxes, levers et couchers d’étoiles. Cette orientation suggère un lien étroit entre spiritualité, cycles naturels et survie, car comprendre les saisons était vital pour l’agriculture et la vie communautaire. Ces pratiques placent le Portugal dans le grand courant des sociétés mégalithiques européennes, où la cosmologie structurait le temps, l’espace et les rites.

Une mémoire gravée dans la pierre

Les dolmens portugais, comme le Grand Dolmen de Zambujeiro, sont des tombes collectives, des « maisons des morts », où l’on célébrait probablement des cultes des ancêtres et le culte de la Grande Mère, symbolisant la fertilité et le cycle de la vie. Les cistes, plus modestes, complètent cet ensemble funéraire, montrant la diversité des pratiques selon les époques et les régions.

Ces sites ne sont pas que des reliques du passé : ils nourrissent encore aujourd’hui des liens communautaires et des pratiques culturelles. Festivals, visites guidées, ateliers éducatifs… des initiatives locales impliquent habitants et chercheurs pour préserver et transmettre ce patrimoine unique.

Préserver un héritage fragile

patrimoine

Le mégalithisme portugais est un patrimoine précieux mais fragile, menacé par l’urbanisation, l’agriculture intensive et les pressions touristiques. Des sites majeurs comme Almendres et Meada bénéficient d’un classement, mais beaucoup d’autres sont encore exposés à la dégradation, à l’érosion, voire au vol ou à l’oubli. La préservation de ces sites repose sur une mobilisation collective : institutions publiques, associations locales, communautés et chercheurs travaillent à sensibiliser, documenter et protéger ces monuments pour les générations futures.

Les défis sont nombreux : obtenir des financements, élaborer des plans de protection durables, gérer l’impact des visiteurs, et intégrer ces sites dans une dynamique de tourisme responsable. L’enjeu est de taille : ces pierres levées sont bien plus que des vestiges. Elles sont les témoins d’un lien profond entre l’homme, la nature et le ciel, un héritage universel à préserver.

Une invitation à la contemplation

Arpenter les sites mégalithiques du Portugal, c’est parcourir un paysage façonné par des mains humaines il y a des millénaires. C’est se tenir devant une pierre et imaginer les regards qui l’ont contemplée avant nous, les chants qui ont résonné autour d’elle, les espoirs qu’elle a portés. C’est comprendre que ces monuments, aussi silencieux soient-ils, continuent de nous parler d’un temps où l’homme levait des pierres vers le ciel pour donner un sens à sa place dans le monde.

À Almendres, à Meada, à Zambujeiro et ailleurs, le Portugal nous offre un voyage unique dans le temps, une leçon d’histoire et de beauté brute, à redécouvrir et à protéger, pour que ces pierres dressées continuent d’inspirer le regard des générations futures.

  1. Une Anta est un synonyme de dolmen dans la tradition portugaise. Le mot vient du latin antea (avant, devant). C’est un terme courant dans la péninsule Ibérique, surtout au Portugal, pour désigner des tombes collectives en forme de chambre funéraire. ↩︎
  2. Un orthostate est une dalle de pierre verticale, souvent de grande taille, utilisée dans les monuments mégalithiques comme élément de structure. Dans un dolmen, ce sont les orthostates qui forment les parois de la chambre funéraire. ↩︎
  3. Musée et Parc Archéologique de la Vallée du Côa, ressources en ligne sur l’art rupestre et le patrimoine préhistorique ↩︎
  4. Liste des monuments mégalithiques au Portugal : https://pt.wikipedia.org/wiki/Lista_de_monumentos_megal%C3%ADticos_de_Portugal
    Portail très complet des mégalithes au Portugal avec carte : https://prehistoricportugal.com/
    Groupe Facebook Portugal Megalítico : https://www.facebook.com/portugal.megalitico/ ↩︎
  5. Jorge, Susana Oliveira (dir.), Portugal Megalítico. Monumentos e Paisagem, Porto, Afrontamento, 1998.
    Leisner, Georg et Vera Leisner, Monumentos Megalíticos de Portugal, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, 1956-1965 (4 volumes).
    Bueno-Ramírez, Primitiva, La frontera de los dioses. El megalitismo del suroeste de Europa, Madrid, Editorial Akal, 2023.
    Silva, Armando Coelho Ferreira da, Megalitismo e Cultura no Norte de Portugal, Porto, Campo das Letras, 2003.
    Henriques, Manuel Calado, Almendres e os Megálitos do Alentejo Central, Évora, Edições Colibri, 2010.
    Henriques, Manuel Calado et Gonçalves, Vítor, Os Grandes Monumentos Megalíticos do Alentejo, Lisbonne, IPPAR, 2001.
    Bradley, Richard, The Prehistory of Britain and Ireland, Cambridge University Press, 2007 (pour la comparaison avec le mégalithisme européen).
    Valera, António Carlos, O Megalitismo Funerário no Sul de Portugal, Beja, Associação de Defesa do Património Cultural de Beja, 2000.
    Valera, António Carlos, Megalithism in the Iberian Peninsula: From the Neolithic to the Bronze Age, Oxford, Archaeopress, 2021. ↩︎


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