À peine 2,5 secondes. C’est le temps que tolèrent, en moyenne, les Portugais avant de ressentir un malaise face au silence dans une conversation. Un laps de temps bref, presque imperceptible, qui dit pourtant beaucoup sur les dynamiques culturelles, les normes sociales, et les codes implicites du dialogue. L’information a été révélée par Erin Meyer, professeure à l’INSEAD 1 et autrice du livre The Culture Map, lors d’une intervention remarquée à l’ouverture du sommet QSP 2, organisé à Matosinhos (nord du Portugal).
« Si l’on compare le Portugal à la Chine, par exemple, les Chinois peuvent supporter jusqu’à dix secondes de silence sans ressentir de gêne », observe l’experte. Ce qui est perçu dans un contexte comme signe de respect ou de concentration peut, dans un autre, être interprété comme une tension, une colère ou un malaise latent. L’étude qu’elle présente classe ainsi les cultures selon leur rapport au silence, révélateur d’un rapport très différent à la communication elle-même.
Entre écoute active et angoisse du vide
Le silence ne signifie pas la même chose d’un pays à l’autre. Dans certains contextes asiatiques (Japon, Corée du Sud, Thaïlande) il incarne la réflexion, l’écoute, la retenue. À l’inverse, dans les pays latins ou anglo-saxons, il peut être perçu comme un signal négatif, une rupture dans l’échange ou une forme d’agressivité passive. Erin Meyer précise : « Dans ces cultures, si l’on reste silencieux trop longtemps, l’interlocuteur peut supposer que vous êtes fâché, ennuyé, ou que quelque chose ne va pas. »
Dans ce spectre des attitudes face au silence, le Portugal se situe aux côtés de l’Espagne, de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni ou du Brésil : cultures bavardes, où l’interruption est souvent un signe d’implication et où le vide entre les mots peut rapidement devenir inconfortable. « C’est une réalité qui a des effets concrets dans la sphère professionnelle, notamment lors des réunions interculturelles », insiste la chercheuse.
Réunions, feedback, communication : les effets du choc culturel
Erin Meyer enchaîne les exemples lors de sa conférence : dans certaines entreprises en Europe du Nord, comme aux Pays-Bas ou en Allemagne, le feedback négatif est direct, frontal, souvent perçu comme une preuve d’efficacité. À l’opposé, dans des pays comme le Japon, l’Arabie Saoudite ou la Colombie, la critique s’énonce avec précaution, sous forme atténuée, parfois détournée. Le Portugal, là encore, se situe entre les deux pôles, penchant plutôt vers l’indirect.
La gestion des réunions reflète également ces différences. Dans les cultures dites de « bas contexte » (États-Unis, Canada, Australie), la communication repose sur des informations explicites, des consignes précises et des objectifs définis. À l’inverse, dans les cultures de « haut contexte » (Chine, Éthiopie, Japon), une partie importante de la communication repose sur les références partagées, le non-dit, la « lecture de la salle ». Une divergence qui, dans les interactions internationales, peut mener à des malentendus fréquents.
Un défi pour les entreprises globalisées
Dans un monde professionnel de plus en plus internationalisé, la compréhension de ces différences devient stratégique. Les normes invisibles, comme le rapport au silence, peuvent affecter la cohésion d’équipe, la qualité des échanges ou la prise de décision. Erin Meyer conclut : « Ce ne sont pas seulement des différences de forme. Ces nuances façonnent en profondeur la manière dont nous faisons confiance, dont nous gérons les conflits, et dont nous atteignons un consensus. »
Pour le Portugal, ce regard extérieur est aussi un miroir. Dans une société souvent perçue comme chaleureuse et expressive, ce rejet du silence peut apparaître comme le reflet d’une tension culturelle entre spontanéité et contrôle, entre communication émotionnelle et efficacité formelle. Et si, à l’ère du dialogue global, apprendre à tolérer quelques secondes de silence devenait un acte d’adaptation ?
- INSEAD : https://www.insead.edu/faculty/erin-meyer ↩︎
- QSP Summit : https://qspsummit.pt/ ↩︎