L’abattage de jacarandas à Lisbonne ne passe pas !

jacarandas a lisbonne

À Lisbonne, les jacarandas font bien plus que colorer les avenues de leur floraison bleutée : ils incarnent un patrimoine vivant, une part du paysage affectif des habitants. L’annonce de leur abattage partiel sur l’Avenida 5 de Outubro, pour permettre la construction d’un parking souterrain, a suscité une vague d’indignation. Alors que la mairie promet de replanter davantage d’arbres qu’elle n’en abat, le processus de transplantation déjà amorcé inquiète riverains, écologistes et élus de l’opposition.

Entre déclarations officielles, recours juridiques et pétitions massivement signées, l’affaire dépasse la simple gestion des espaces verts. Elle révèle une fracture grandissante entre une politique d’urbanisation ambitieuse et les attentes des citoyens pour une ville plus respectueuse de son héritage écologique. Retour sur une polémique enracinée dans l’amour profond que les Lisboètes portent à leurs arbres.

Une intervention précipitée sur fond de projet ancien

jacaranda lisbonne avenue 5 octobre

Ce jeudi, les pelleteuses ont entamé les préparatifs pour transplanter les premiers jacarandas sur l’Avenida 5 de Outubro. Officiellement, il ne s’agissait que de travaux préliminaires. Pourtant, des fosses ont été creusées autour des troncs, sectionnant déjà certaines racines — une opération lourde de conséquences pour la survie des arbres. La mairie, dirigée par Carlos Moedas (Parti Social-Démocrate), affirme respecter un calendrier écologique strict.

probleme des jacarandas

Le projet à l’origine de ces interventions n’est pas nouveau. Il remonte à 2018 et concerne la requalification d’un vaste terrain laissé en friche depuis des décennies à Entrecampos. Le cœur du dispositif ? Un parc de stationnement souterrain assorti d’un réaménagement complet de l’avenue. Si l’exécutif actuel n’a pas conçu ce plan, il l’a repris en main dès sa prise de fonctions en 2021, sous prétexte qu’il était déjà acté juridiquement.

La municipalité insiste : l’objectif est d’augmenter le nombre total d’arbres. Actuellement, l’avenue compte 75 jacarandas. Le nouveau projet prévoit 118 arbres en tout, dont 39 nouveaux jacarandas et 49 autres espèces. Mais cette promesse peine à convaincre ceux qui considèrent que la coupe d’arbres matures au profit de jeunes plants représente une perte écologique immédiate. Dans ce contexte tendu, les voix se sont élevées, à commencer par celles des habitants, sensibles à la valeur patrimoniale de ces arbres iconiques.

Une pétition citoyenne relayée massivement

Le 21 mars, jour de la fête des arbres, un collectif de citoyens a lancé une pétition en ligne intitulée « Non à l’abattage des jacarandas de l’Avenue 5 de Outubro ». En quelques jours à peine, plus de 51.000 signatures ont été recueillies. Ce chiffre témoigne de l’attachement des Lisboètes à leur cadre de vie et à la nature urbaine qui le caractérise.

Un symbole écologique et culturel menacé

jacaranda lisbonne

Le jacaranda mimosifolia, reconnaissable à ses fleurs mauves éclatantes, est devenu un symbole printanier à Lisbonne. Chaque année, ses floraisons attirent les regards, les photographes, les touristes. Il participe activement à la régulation thermique en ville, en plus de fixer le carbone. Le Parti PAN (Personnes-Animaux-Nature), particulièrement actif sur les questions environnementales, dénonce une atteinte grave à ce patrimoine naturel.

Dans une procédure en référé déposée auprès des tribunaux, le PAN demande l’arrêt immédiat des travaux. Le parti souligne que le remplacement par de jeunes arbres n’offre pas les mêmes garanties en termes de bénéfices écologiques à court terme. La température de surface, la qualité de l’air, la biodiversité urbaine s’en trouveraient affectées. Pour eux, il s’agit d’un véritable « attentat environnemental ».

Réactions politiques et réponses institutionnelles

probleme des jacarandas

La municipalité se défend. Joana Almeida, conseillère à l’urbanisme, a multiplié les apparitions publiques pour justifier la continuité du projet. Elle rappelle que deux présentations publiques auront lieu pour exposer les détails techniques et l’ambition environnementale de l’opération. Selon elle, l’avenue sera repensée de manière plus verte, avec une voirie apaisée et de larges trottoirs bordés d’arbres, dont des poiriers.

Pour autant, les partis d’opposition comme le PS ou le PCP dénoncent une incohérence. L’ancien projet, affirment-ils, ne prévoyait pas d’abattage. Ils pointent du doigt un revirement, voire une manipulation des termes employés pour faire passer un aménagement controversé pour une avancée écologique. La question devient alors politique autant qu’environnementale, illustrant une ville en tension entre croissance urbaine et attentes citoyennes.

La carte émotionnelle des jacarandas à Lisbonne

Si les jacarandas de l’Avenida 5 de Outubro cristallisent autant de passions, c’est aussi parce que ces arbres sont associés à des lieux emblématiques de Lisbonne. Leur floraison annuelle crée une ambiance unique, un moment suspendu dans le calendrier lisboète.

jacarandas

Les lieux emblématiques où admirer les jacarandas

Chaque printemps, Lisbonne se pare d’un manteau violet dans des lieux devenus des repères pour les amoureux de la nature en ville :

  • Parque Eduardo VII : Situé sur les hauteurs de la ville, ce vaste parc offre une vue imprenable sur Lisbonne. Dès le printemps, ses allées verdoyantes se parent de touches violettes, les jacarandas y dessinant un tableau vivant d’une rare intensité.
  • Largo do Rato : Ce petit square tranquille, à l’écart de l’agitation, devient un lieu privilégié pour s’arrêter un instant sous les ombrages mauves des arbres en fleurs. C’est un coin discret, mais prisé des amoureux de la nature en pleine ville.
  • Largo do Carmo : Entre les pierres chargées d’histoire de l’ancien couvent et les bancs à l’ombre, les jacarandas ajoutent une douceur printanière. Ils enveloppent ce lieu emblématique d’une ambiance romantique unique au cœur du Chiado.
  • Praça do Rossio : Au centre de Lisbonne, cette place animée change de visage lorsque les jacarandas la bordent de leurs bouquets violets. Flâner sur ses pavés ondulants en mai devient alors une expérience visuelle enchanteresse.
  • Campo de Santa Clara : Connu pour accueillir la Feira da Ladra, ce grand espace dans le quartier d’Alfama prend des allures de jardin enchanté à la belle saison. Les jacarandas y apportent fraîcheur et couleur au milieu des étals et des vieilles pierres.
  • Jardim D. Luís : À deux pas du Tage, ce jardin combine élégance urbaine et biodiversité. Les jacarandas y forment une canopée bleutée au-dessus des promeneurs et confèrent au lieu une atmosphère presque féerique.
  • Avenida D. Carlos I : Bordée d’arbres majestueux, cette large avenue devient un tunnel de fleurs en mai. Les jacarandas y offrent un spectacle floral continu jusqu’aux abords de l’Assemblée nationale, ajoutant au prestige du quartier une touche poétique.
  • Largo de Santos : Dans cette zone plus résidentielle, les arbres fleuris créent un décor bucolique. Lieu de passage ou de détente, le square prend une toute autre dimension sous les floraisons éclatantes.
  • Avenida 24 de Julho : Longeant le fleuve, cette grande artère devient au printemps une promenade spectaculaire. Les trottoirs se couvrent de pétales et les jacarandas transforment le paysage en une succession de tableaux mouvants.
  • Avenida da Torre de Belém : À proximité des joyaux historiques comme la tour de Belém et le monastère des Hiéronymites, cette avenue fleurie renforce la magie du lieu. La floraison des jacarandas y crée un contraste saisissant entre nature et architecture monumentale.

Un enjeu de planification urbaine à repenser

L’affaire des jacarandas met en lumière une contradiction de fond dans les politiques de développement urbain. D’un côté, Lisbonne affirme sa volonté de devenir une capitale verte, résiliente, conforme aux objectifs de neutralité carbone. De l’autre, les projets initiés il y a plusieurs années, souvent à une époque moins sensible aux questions écologiques, continuent leur course malgré l’évolution des consciences.

Faut-il impérativement choisir entre modernisation et préservation ? Ne pourrait-on pas envisager des projets hybrides, où les arbres en place deviennent les pivots d’une nouvelle urbanité, au lieu d’obstacles à contourner ? L’épisode de l’Avenida 5 de Outubro relance ce débat crucial. Car au-delà de leur beauté, les jacarandas incarnent une mémoire partagée, une écologie vécue au quotidien.

La réponse institutionnelle, aussi transparente soit-elle, devra donc s’accompagner d’une véritable écoute. Car ce que réclament les citoyens n’est pas seulement une densification végétale, mais un respect sincère pour ce qui fait l’âme de leur ville.

les jacarandas illustrent le sentiment de dépossession des habitants

Le sort des jacarandas de l’Avenida 5 de Outubro dépasse largement le cadre d’un chantier urbain. Il illustre une fracture profonde entre des décisions administratives parfois opaques et le sentiment de dépossession que vivent nombre d’habitants. À Lisbonne, les arbres ne sont pas des éléments de décor interchangeables. Ils sont porteurs d’identité, d’histoire, de bien-être. Le défi est donc immense pour les autorités : il ne suffit pas de planter davantage, encore faut-il le faire avec justesse, dialogue et vision à long terme.


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