La stratégie pour l’eau au Portugal, un désastre écologique et social ?

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Le mouvement proTEJO, défenseur historique des rivières vivantes du bassin du Tage, tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Dans le cadre de la consultation publique sur la stratégie nationale de l’eau intitulée Água que nos une (« L’eau qui nous unit »), les porte-parole de l’organisation ont dénoncé un projet qu’ils considèrent comme un désastre écologique et social. À leurs yeux, cette feuille de route donne la priorité à une logique de grands travaux au profit des lobbys agro-industriels et immobiliers, au détriment des équilibres naturels, des communautés rurales et de la biodiversité.

Une stratégie au service de l’économie, pas de l’écologie

Água que nos une : une stratégie aux ambitions affichées

Lancée en 2024 par un groupe de travail interministériel, la stratégie Água que nos une 1 vise officiellement une gestion plus efficiente, résiliente et durable de l’eau au Portugal. À travers une approche multisectorielle, elle se donne pour mission de concilier les besoins de l’agriculture, de l’environnement et de la population, tout en garantissant la viabilité des ressources hydriques face aux défis du changement climatique. Le texte promet de renforcer la cohésion territoriale et d’assurer à long terme la sécurité hydrique du pays.

Água que nos une

Cette stratégie s’inscrit dans un cadre plus large : elle soutient la révision du Plan National de l’Eau (PNA 2025-2035) et la création du Plan REGA, qui vise à optimiser le stockage et la distribution d’eau pour l’agriculture. Elle se veut également complémentaire d’autres instruments existants comme le PENSAARP 2030, dédié à la gestion des eaux résiduelles et pluviales. Sur le papier, Água que nos une se présente comme un outil de modernisation de la gouvernance de l’eau au Portugal, avec des objectifs partagés entre les autorités de l’environnement, de l’agriculture et du développement rural.

Cependant, cette façade technocratique et équilibrée est vivement contestée par les mouvements écologistes et les acteurs citoyens, qui y voient une logique productiviste maquillée en transition durable. Derrière les grands principes, ce sont des orientations très concrètes – barrages, transvases, mégaprojets d’irrigation – qui suscitent inquiétudes et mobilisations.

Une stratégie mise en question

Le mouvement proTEJO 2 dénonce une stratégie élaborée à la hâte par un gouvernement en fin de mandat, qu’il qualifie de visionnaire sur le papier mais désastreuse dans les faits. Sur les 5 milliards d’euros annoncés, plus de 3 milliards sont alloués à la construction de nouvelles infrastructures lourdes – barrages, retenues, transferts d’eau entre bassins – dont l’efficacité, la pertinence et la légitimité sont largement remises en question. À l’inverse, les mesures considérées plus durables, comme la réduction des pertes, la réutilisation des eaux usées ou la restauration des zones humides, se contentent d’un tiers du budget. Le principe affirmé d’un recours exceptionnel aux grands ouvrages hydrauliques est ainsi clairement inversé ; ce qui devait être l’ultime solution devient la priorité absolue.

Cette stratégie est jugée fondamentalement anti-écologique car elle repose sur des aménagements qui bouleversent les équilibres naturels. Les barrages et les transvasements d’eau fragmentent les cours d’eau, empêchent la libre circulation des espèces aquatiques, réduisent les apports sédimentaires vers les estuaires et favorisent la stagnation des eaux. Résultat : baisse de la biodiversité, prolifération d’espèces invasives, détérioration de la qualité de l’eau. Par ailleurs, ces infrastructures émettent aussi du méthane, un gaz à effet de serre, et contribuent indirectement au dérèglement climatique. En misant sur la bétonisation plutôt que sur la régénération des milieux, le plan compromet gravement la résilience écologique des territoires à long terme.

Des projets à hauts risques pour les rivières portugaises

barrage

Des transferts entre bassins dangereux

Parmi les mesures phares figurent les « autoroutes de l’eau« , reliant les bassins du Douro, du Mondego, du Tage et du Guadiana. Ces transferts, en plus d’être extrêmement coûteux, posent des risques graves : échanges de polluants, propagation d’espèces invasives, ruptures d’écosystèmes. La connexion entre les bassins du Tejo et du Guadiana, notamment via Sabugal-Meimoa, est jugée inacceptable par les militants.

De nouveaux barrages sur le Tage

ProTEJO s’oppose également à trois projets prévus dans le Médio Tejo : un nouveau barrage à Constância / Praia do Ribatejo, une étude de liaison entre les bassins Tejo-Guadiana, et un barrage sur l’Ocreza. Tous menacent la connectivité fluviale, les habitats piscicoles, les activités nautiques et le patrimoine naturel local.

Une mobilisation citoyenne sur le terrain

protejo

Vogar contra a indiferença

Le 26 avril 2025, proTEJO a organisé à Constância la 12ème édition de sa descente en kayak « Vogar contra a indiferença » (Pagayer contre l’indifférence), mobilisant 120 participants sur les rivières Zêzere et Tejo. Une façon de revendiquer, au fil de l’eau, le respect de la Directive Cadre sur l’Eau européenne et le droit à des rivières vivantes, accessibles et non artificialisées.

Une mobilisation transfrontalière

Les représentants espagnols de la Red Ciudadana por una Nueva Cultura del Agua 3 ont également pris part à cette journée, rappelant que les enjeux de conservation du Tejo transcendent les frontières. Les militants ibériques ont rédigé et lu une « Lettre contre l’indifférence » réclamant la fin des projets destructeurs, une vraie politique de continuité écologique et une valorisation des modes de vie liés à l’eau.

Des alternatives négligées

Pour proTEJO, l’avenir de l’eau ne passe pas par le béton. Le mouvement plaide pour une agriculture régénérative, des forêts diversifiées, des zones humides restaurées et des solutions d’ingénierie naturelle. Ces approches, moins coûteuses et plus résilientes, permettent de mieux retenir l’eau, de purifier les sols, de préserver les nappes et d’assurer une véritable sécurité hydrique à long terme.

Un modèle à repenser en profondeur

La critique de proTEJO n’est pas une opposition de principe, mais l’appel à un changement de paradigme. Pour que l’eau soit véritablement un bien commun, sa gestion doit concilier sobriété, participation citoyenne, justice territoriale et respect du vivant. C’est à cette condition que le Portugal pourra affronter les défis climatiques à venir sans sacrifier son patrimoine fluvial ni ses communautés.


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