Alors que la Força Aérea Portuguesa (FAP) prépare la relève de ses F-16AM/BM, la question du futur chasseur de combat portugais se fait de plus en plus pressante. Si le F-35A américain avait longtemps semblé faire figure de favori, les premiers mois du second mandat de Donald Trump et certaines incertitudes géopolitiques ont incité Lisbonne à reconsidérer sa stratégie. Dans ce contexte, le Gripen suédois de Saab revient dans la course, aux côtés du Rafale français de Dassault Aviation. Une décision qui mêle enjeux stratégiques, militaires, industriels… et politiques.
Le F-35A : une avance en question
Depuis au moins 2019, la FAP exprime son intérêt pour un chasseur de 5e génération. Le F-35A de Lockheed Martin, adopté par de nombreux alliés européens, paraissait donc naturellement s’imposer. Interopérabilité OTAN, furtivité, système d’armes intégré : le modèle a pour lui ses qualités techniques et une position dominante sur le marché.
Cependant, plusieurs signaux récents ont conduit le Portugal à adopter une posture plus prudente. Les turbulences diplomatiques avec les États-Unis, notamment dans le cadre de l’Alliance Atlantique, ont jeté un doute sur la « prévisibilité » de Washington, comme l’a souligné Nuno Melo, ministre portugais de la Défense en fin de mandat. Dans un entretien au journal Público, il insistait sur l’importance d’envisager des options européennes, capables d’offrir à la fois une réponse stratégique et un retour économique pour le Portugal.
Le Gripen de Saab : une carte suédoise sur la table
Dans une interview accordée le 6 avril au journal suédois Dagens Industri 1, Micael Johansson, PDG de Saab, a confirmé l’existence de discussions en cours avec le gouvernement portugais. Il s’agit du JAS-39 Gripen, un chasseur multirôle de 4e génération avancée, réputé pour sa souplesse opérationnelle, ses coûts contenus et sa facilité d’entretien.
« Nous sommes en discussion avec le Portugal et présentons ce que Saab peut offrir. Nous verrons ensuite s’ils considèrent le Gripen comme une alternative viable », a précisé Johansson, mentionnant également des échanges avec le Canada, un autre client potentiel.
Le Gripen présente plusieurs atouts : un coût d’acquisition et de maintenance bien inférieur à celui du F-35, une logique de partenariat industriel, et une grande souplesse dans les opérations. Il équipe déjà les forces aériennes suédoises, brésiliennes, hongroises et tchèques. Reste à savoir si Lisbonne acceptera de miser sur un appareil qui, bien que performant, n’appartient pas à la génération furtive.
Le Rafale entre aussi dans l’arène
Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, a également manifesté son intérêt pour le marché portugais, dans les colonnes du Journal du Dimanche (23 mars) 2. « C’est un pays de l’Union européenne et de l’Otan. Il disposerait des mêmes capacités d’interopérabilité que nous dans le cadre de l’Alliance », a-t-il expliqué, en évoquant le Rafale, avion de combat de Dassault déjà utilisé par la France, la Grèce, l’Égypte ou l’Inde.
Outre ses capacités multirôles et sa forte autonomie stratégique, le Rafale bénéficie du soutien politique de Paris et d’un écosystème industriel capable de proposer des partenariats bilatéraux renforcés. Le programme pourrait notamment inclure une part de production ou de maintenance sur le sol portugais.
Un choix stratégique pour le futur gouvernement
À l’heure actuelle, aucun choix officiel n’a été fait. Le ministère portugais de la Défense n’a pas commenté les déclarations du PDG de Saab, et les élections législatives anticipées rendent toute décision incertaine. En interne, la FAP continue d’évaluer les différentes plateformes.
Le général João Nogueira, responsable de la Direction de la maintenance des systèmes d’armes de la FAP, a ainsi rappelé que le F-35 restait une option incontournable : « L’évaluation du F-35 est nécessaire parce que d’autres nations remplacent leurs F-16 par cet appareil de cinquième génération. Mais cela ne remet pas en cause la nécessité d’évaluer les capacités d’autres plateformes. »
Lisbonne devra trancher entre plusieurs approches : poursuivre dans le sillage des partenaires OTAN avec le F-35, privilégier un avion européen à forte autonomie stratégique comme le Rafale, ou opter pour un appareil plus économique et souple comme le Gripen. Le choix impliquera non seulement des considérations militaires, mais aussi des enjeux de souveraineté industrielle, d’équilibre géopolitique et de coopération européenne.
Un arbitrage au cœur des priorités de défense
Le renouvellement de la flotte de chasse de la FAP intervient dans un contexte globalement tendu : pression budgétaire, mutations stratégiques de l’OTAN, et montée en puissance des enjeux de défense européenne. Le Portugal doit aujourd’hui choisir entre continuité transatlantique, consolidation de l’autonomie stratégique européenne ou pragmatisme budgétaire. Au-delà du simple choix d’un avion, c’est une vision de la place du Portugal dans l’Europe de la Défense et dans l’Alliance atlantique qui est en jeu.